Allo, ici la terre!


➡️ Nous sommes ravis d’annoncer la collaboration de Cyrille Moyon, professeur certifié de Sciences de la Vie et de la Terre, qui animait les Rencontres Environnement à Kalasin les 17 et 18 août 2024, événement TIF ayant réuni à Kalasin une centaine d’écoliers et d’étudiants autour des enjeux écologiques. 

Il prend désormais les rênes de la rubrique "Allo, ici la Terre", une série de 19 articles incisifs et captivants, répartis en 4 chapitres, pour explorer le fonctionnement de notre planète, l’équilibre des écosystèmes, l’importance de la biodiversité ainsi que l’urgence climatique. 

Nous vous souhaitons bonne lecture et un grand merci à Cyrille pour son engagement dans ce projet stimulant !


Cyrille Moyon est professeur certifié de Sciences de la Vie et de la Terre, passionné par la transmission des savoirs et les enjeux environnementaux. Après plus de quinze ans d’enseignement en France, il s’est installé en Thaïlande où il poursuit son engagement pour l’éducation aux sciences de l’environnement. Son approche mêle rigueur scientifique et sensibilité pédagogique, avec une attention particulière portée à l’enseignement du réchauffement climatique et à la protection de la biodiversité.

Conférencier et auteur d’articles spécialisés occasionnel, Cyrille s’intéresse aux moyens de rendre la science accessible à tous, notamment à travers des actions d’éducation populaire en partenariat avec des associations franco-thaïes. Ses écrits, documentés et accessibles, explorent les grands défis écologiques de notre temps, des initiatives durables aux enjeux de conservation. Son objectif ? Inspirer une réflexion éclairée et encourager des actions concrètes en faveur d’un avenir plus soutenable.

Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace

Article 4

L’effet de serre : ami ou ennemi ? Comment a-t-il rendu la Terre vivable... et comment risque-t-il de la rendre inhabitable ?


 Technologies humaines fonctionnant avec des ressources énergétiques dites fossiles. © Cyrille Moyon
La Terre sous une douce couverture... en route pour devenir une étuve planétaire ? 

Et si la Terre, comme disait le poète Paul Eluard, cette orange bleue, flottant dans l’espace, devait son hospitalité à un phénomène que l’activité humaine a transformé en menace ? 

Cette orange bleutée, sphère imparfaite, c’est la Terre, notre maison commune. Elle tourne sur elle-même, penche légèrement, et suit une orbite légèrement elliptique. Tout cela joue sur la répartition de l’énergie solaire qu’elle reçoit. Pourtant, sans un petit miracle physique, cette boule serait un désert glacé à -18°C. 

Mais quel est donc ce petit miracle, me direz-vous ? Ce miracle, c’est l’effet de serre. Un phénomène naturel, discret et ô combien vital.

1. Mais qu’est-ce donc que cet effet de serre ?

Quand j’étais plus jeune je me demandais bien à quoi pouvait servir la serre présente dans le jardin. Pas un truc compliqué, non. Juste un abri simple, en verre, où poussaient des tomates, même en hiver. La serre captait la chaleur du soleil pendant la journée, et la retenait pendant la nuit. Sans ce petit miracle, dû aux propriétés de la matière, empêchant la chaleur de s’échapper, rien n’aurait survécu. 

Le principe est simple : la Terre, comme une serre de jardin, reçoit de l’énergie solaire, en absorbe une partie, puis réémet cette chaleur sous forme d’infrarouges. Sans atmosphère, cette chaleur s’échapperait intégralement vers l’espace. Heureusement, certains gaz atmosphériques piègent une partie de ce rayonnement et le renvoient vers le sol : on reste bien au chaud.
  
Ces gaz sont appelés gaz à effet de serre (GES) – vapeur d’eau, dioxyde de carbone (CO₂), méthane (CH₄), protoxyde d’azote (N₂O) – et retiennent donc une partie du rayonnement solaire sous forme de chaleur, offrant une température moyenne de 15°C pour l’ensemble du globe. Ce phénomène a permis l’eau liquide, les forêts, les grenouilles, la philosophie grecque, les fromages affinés… et vous.
 
Les gaz de l’atmosphère et leur rôle dans l’effet de serre © Cyrille Moyon
D’ailleurs si on s’applique à faire une petite comparaison interplanétaire, on n’est pas déçu ! Mars, avec son atmosphère fine, sans effet de serre, grelotte à -63°C. Vous l’aurez compris, on se les gèle. Il fait tellement froid que le CO₂ est sous forme de glace carbonique. Vénus, elle, est étouffée par un CO₂ omniprésent et un effet de serre galopant. Victime d’un emballement de l’effet de serre (oui c’est possible), la température y est de +460°C. Welcome to hell ! 

La Terre se meut donc dans une zone de notre système solaire, ni trop froide, ni trop chaude, accompagnée d’une atmosphère bienveillante à notre égard, qui rend notre planète habitable, et pas que pour nous. Il s’agit d’un équilibre fragile, comme un café bien dosé : trop court, on somnole ; trop long, on tremble. 

Alors je vous vois venir. Vous allez me dire « Ok d’accord ! Mais… Comment l’humanité a-t-elle compris ce mécanisme ? » 

L’histoire commence il y a des siècles, avec des esprits curieux et des machines fumantes, un temps que les moins de cent vingt ans ne peuvent pas comprendre. Et depuis nous avons bâtis notre savoir sur les épaules des géants qui nous ont précédé.


2. Une épopée humaine : de la vapeur au chaos climatique.

Notre planète est devenue, il y a quelques 300 000 ans maintenant, le théâtre d’une épopée humaine. Depuis 12 000 ans environ, cette épopée a connu un tournant inattendu vers plus de sédentarité et d’innovations. Depuis quelques siècles, savants et inventeurs, ouvriers et industriels transforment la planète, sans toujours voir la facture cachée, pour la vie et ses écosystèmes ainsi que pour son atmosphère. 

Le premier temps de l’histoire qui nous intéresse débute en 1757, lorsque le chimiste écossais Joseph Black isole un gaz qu’il nomme « acide carbonique » : le CO₂. Dans les années 1820, Jean-Baptiste Fourier, fasciné par la chaleur, calcule que la Terre devrait être un glaçon à -16°C, sans une mystérieuse propriété isolante de l’atmosphère. Il ne la nomme pas, mais vous l’aurez compris l’idée est là. 

En 1856, Eunice Newton Foote, une scientifique américaine oubliée, résout l’énigme : dans un cylindre de verre, le CO₂ piège la chaleur du soleil plus longtemps que tout autre gaz. Elle l’écrit noir sur blanc : ce gaz réchauffe la Terre.
 
Eunice Newton Foote. Crédits : Ida Hinman, The Washington Sketch Book, Wikimedia commons
Quelques années plus tard, en 1861, l’Irlandais John Tyndall parvint aux mêmes conclusions, et l’histoire lui attribua longtemps la découverte.

 À la fin du XVIIIe siècle, la noosphère s’emballe. James Watt perfectionne la machine à vapeur, le charbon devient un trésor noir. Les usines bourdonnent, les trains sifflent, le progrès triomphe. Mais l’atmosphère, ce réservoir invisible, s’alourdit. 

En 1896, le Suédois Svante Arrhenius lie CO₂ et climat. Selon lui, doubler la concentration de l’atmosphère en CO₂ réchaufferait la Terre de 5 à 6°C. Son collègue Arvid Högbom, comptable du carbone, note que l’humain, en brûlant bois, pétrole et charbon, ajoute chaque année 0,1 % de CO₂ à l’atmosphère. Une goutte, pense-t-on alors. Arrhenius imagine un réchauffement lointain, bénéfique contre les glaciations. Les océans, croit-on, avaleront le surplus. 

Pourtant, dès 1912, le magazine Popular Mechanics s’étonne d’un climat « bizarre », trop chaud, pointant le CO₂ humain. En 1923, un météorologue parle de « vague de changement climatique ». La noosphère commence à douter. En 1938, le Britannique Guy Callendar secoue les idées : 150 milliards de tonnes de CO₂ ajoutées depuis un siècle, dont les trois quarts flottent encore dans l’air, réchauffant la planète d’un tiers de degré. On le juge optimiste, amateur. 

Les années 1950 changent la donne. Roger Revelle et Hans Suess découvrent que les océans, loin d’être des éponges infinies, n’absorbent qu’une fraction du CO₂. En 1957, lors de l’Année géophysique internationale, Revelle embauche Charles David Keeling. Sur un volcan hawaïen, Keeling pose une aiguille sur l’air : 315 ppm de CO₂. En 1960, sa courbe – la fameuse courbe de Keeling – révèle une vérité implacable : la concentration de l’atmosphère en CO₂ grimpe, année après année. 

Dans les années 1970, la science s’affirme. Revelle montre la courbe à ses étudiants, dont Al Gore. James Hansen, armé de modèles informatiques, prouve que le CO₂ humain réchauffe la planète. En 1979, un rapport pour le président Carter prévoit 2 à 3°C de réchauffement si le CO₂ double. En 1980, Hansen annonce une hausse de 0,2°C depuis les années 1960, prédisant un réchauffement incontestable d’ici 2000. Même l’industrie pétrolière, comme Humble Oil, reconnaît l’impact du carbone dès 1957.


3. Quand la noosphère surcharge l’atmosphère

En 1988, le GIEC naît, officialisant un consensus : l’humain, en brûlant des combustibles fossiles, épaissit la couverture de CO₂. Le citoyen, hier ouvrier ou spectateur, devient acteur hésitant : on recycle, on s’inquiète. Mais industries et géopolitique tiennent les rênes. Aujourd’hui, à l’heure des 428 ppm, chacun est sommé d’agir. Consom’acteur, activiste, influenceur climatique, porté par des mouvements comme Fridays for Future, l’individu endosse un nouveau costume. Face aux mastodontes fossiles, est-ce une illusion de contrôle ? La noosphère, ce cerveau collectif, peut-elle réécrire l’histoire de l’orange bleue ?
 
 Graphique montrant l’augmentation de la concentratrion atmosphérique en CO₂ depuis 1957 à aujourd’hui. 
Depuis deux siècles, l’humain tricote une couverture trop épaisse. Charbon, pétrole, gaz ; déforestation, élevages émetteurs de méthane : nous dopons l’effet de serre. En 1860, l’atmosphère comptait 280 ppm de CO₂. En 2025, elle frôle 428 ppm, un record depuis des millions d’années. Ce n’est plus un phénomène naturel : c’est une machine anthropique, poussée à plein régime.


4. Une machine climatique qui s’emballe

Les carottes de glace racontent 400 000 ans de lien entre GES et température. Plus de CO₂, plus de chaleur, moins de glace, moins d’albédo (la capacité des surfaces claires à réfléchir le soleil). Une boucle infernale qui n’a pas toujours fonctionné ainsi. Dans l’histoire de la Terre, le plus souvent, c’est l’augmentation des températures qui précédait l’élévation de la concentration en CO₂ atmosphérique. 

Mais aujourd’hui, le permafrost dégèle, libérant du méthane. Les océans se réchauffent, et peinent de plus en plus à absorber du CO₂. La machine s’auto-alimente, comme un micro qui capte son propre son, nous sommes dans une boucle de feedback positif, c’est-à-dire une boucle d’auto-amplification. Et la noosphère filme le tout… en 4K. 

Fonte du Groenland, perdant 270 milliards de tonnes de glace par an. Acidification des océans, coraux blanchis. Sécheresses, inondations, cyclones plus intenses. Canicules, feux de forêt, migrations climatiques. L’eau douce se raréfie, les glaciers reculent : Columbia Glacier, Glacier Bay, Illulissat… des paysages métamorphosés. Des millions fuient les terres noyées ou désertifiées. 

Que faire ?
La noosphère, capable du pire, peut briller. Réduire les émissions par la sobriété, l’efficacité, les énergies renouvelables. Restaurer les forêts, les sols, les océans, ces aspirateurs de CO₂. Réinventer nos modes de vie, nos récits, notre économie.

Pas de miracle, mais des actions. Poétiques, comme raconter une Terre préservée, insuffler de nouveaux narratifs ; politiques, comme protéger les forêts, les sols, la biodiversité ; individuelles, comme éteindre une lumière ; collectives, comme manifester pour le climat. Une somme d’élans, petits et grands. Chaque action compte ! Chaque action comptera pour notre futur en tant qu’individu mais également en tant qu’espèce. Les plus jeunes générations, entre 15 et 35 ans aujourd’hui, ou les futurs enfants en bas-âge, seront les plus impactés par le réchauffement.   

Conclusion : Un feu sacré à dompter.

Prométhée a volé le feu aux dieux. Nous avons reçu l’énergie fossile, la science, les algorithmes.
Imaginez-vous qu’entre février 2001 et février 2024 l’humanité à libéré dans l’atmosphère l’équivalent énergétique de l’explosion de 5,1 milliards de bombes d'Hiroshima. Il me semble que c’est plus pratique pour comprendre pourquoi un tel réchauffement.

Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace

Article 3

Les six sphères de la Terre : une symphonie qui se réinvente sans cesse.

Atmosphère, biosphère, lithosphère, cryosphère, hydrosphère, noosphère : qui sont-elles et comment interagissent-elles pour façonner notre planète. © Cyrille Moyon
Chers lecteurs, vous pourriez croire que la Terre n'est un décor figé pour l'histoire de la vie, une scène fixe ou une toile de fond sur laquelle les événements se succèderaient.

Mais que nenni les amis, notre planète est tout sauf statique : imaginez-la plutôt comme une soupe cosmique, mijotée depuis 4,6 milliards d’années dans une marmite gravitationnelle, où chaque ingrédient — air, eau, glace, roche, vie, pensée — réagit, s’ajuste, explose parfois. Ce mélange respire, gronde, émet des borborygmes, se réchauffe, se couvre de givre, se gorge d’eau ou se vide de ses forêts. Elle vit d’interactions constantes entre six grands domaines qui la composent et l’animent : atmosphère, lithosphère, hydrosphère, cryosphère, biosphère… et cette dernière-née, insolente et créative, la noosphère.

Chacune de ses "sphères" a son identité, ses langages, ses rythmes. L’atmosphère change de pression et de température au gré des saisons et des courants. La lithosphère grince, casse et tremble sous l’action de la tectonique des plaques. L’hydrosphère transporte chaleur et nutriments. La cryosphère, silencieuse, fond ou s’étend, miroir glacé de nos déséquilibres. La biosphère, quant à elle, pulse de toute la diversité du vivant, minuscule ou titanesque. Et puis il y a la noosphère, ce champ immatériel de la pensée humaine, des réseaux, des idées et des choix. C’est elle, aujourd’hui, qui bouscule toutes les autres.

Mais soyons clairs. Rien n'est cloisonné, tout est en équilibre instable, un équilibre aussi délicat qu'un château de cartes secoué par un courant d'air… ou un pétrolier. Ces espaces à la fois conceptuels et bien réels dialoguent, parfois en harmonie, souvent dans le tumulte. Comprendre notre planète, c'est donc écouter cette symphonie des "sphères". C'est saisir qu'aucune note n'est anodine, qu'un faux pas dans la danse peut faire trembler l'ensemble, car l'équilibre n'est jamais donné, mais toujours négocié, bricolé, réajusté. Enfin, c'est admettre que l'humanité joue au sein de ce grand concert une partition désormais démesurée. Mais encore faudrait-il que nous en comprenions la portée et que nous acceptions de nous mettre au diapason des autres musiciens.

Chacun de ces espaces joue un rôle unique, mais ils sont tous connectés, comme les instruments d’un orchestre planétaire jouant une symphonie climatique, géologique et biologique.

Embarquez avec moi ! Nous partons explorer ce système fascinant. Un monde d’interactions permanentes où la moindre fausse note peut transformer l’harmonie en cacophonie.

1. L’atmosphère : le souffle de Gaïa

Nous avons déjà abordé son histoire, parlons désormais du rôle qu’elle a pour nous. C’est notre cocon gazeux. Un mélange de diazote, de dioxygène, de vapeur d’eau et d’un zeste de CO₂ qui nous permet de respirer, de voir des arcs-en-ciel, et d’éviter de finir carbonisés par les rayons cosmiques. Dans la mythologie grecque, on pourrait la voir comme Éther, le dieu de l’air pur qui flotte au-dessus du chaos.

Mais l’atmosphère n’est pas qu’un voile romantique. Elle est le théâtre d’échanges constants : elle absorbe l’eau de l’hydrosphère par évaporation, distribue l’humidité, renvoie une partie des rayons solaires dans l’espace (merci les nuages !), et piège également la chaleur grâce aux fameux gaz à effet de serre.

Quand un volcan se met à tousser ou éructer, l’atmosphère change de ton : refroidissement temporaire, troubles respiratoires et couchers de soleil surréalistes. Et quand la noosphère invente les moteurs thermiques et déforeste à tour de bras, c’est l’effet de serre qui grimpe en flèche, chauffant tout le monde… et faisant fondre nos glaciers.
Pensez un instant à l’atmosphère comme à un édredon douillet que vous ne cesseriez de remplir de plumes d’oie, de coton, de poils de laine (CO₂, méthane, protoxyde d’azote…). A force on finit par suer à grosses gouttes, et nous savons qu’en Thaïlande ce n’est pas qu’une métaphore. Vous éprouvez alors cette volonté de vous extraire pour profiter d’un air un peu moins chaud. Sur la Terre, sortir une jambe de dessous l’édredon, pour profiter d’une tiédeur bienvenue, reviendrait, à sortir hors de cette mince couche qui nous protège du vide spatial, de sa froideur et de son rayonnement solaire.

2. La biosphère : la grande fête du vivant

La biosphère c’est ce qui bouge, pousse, respire, mange, fait des câlins, ou fuit quand on s’approche trop. C’est la pulsation de vie ! Et la mort aussi…
Des fourmis coupeuses de feuilles, Costa-Rica 2012, ©Cyrille Moyon
Des bactéries microscopiques aux baleines bleues, des champignons discrets aux forêts exubérantes, des humains invasifs aux virus parasites, la biosphère est le théâtre vibrant de la vie. Elle est assimilable à la biodiversité dont vous ne cessez d’entendre parler désormais. 

Elle danse sur les sols, nage dans les eaux, s’élève dans les airs et elle dépend d’absolument tout : de l’eau (hydrosphère), de l’air (atmosphère), d’un support solide (lithosphère), d’un climat tempéré (merci la cryosphère), et d’une certaine stabilité ou cyclicité de l’environnement pour s’y déployer pleinement.

Et la noosphère ? Elle en fait partie, elle l’admire, la nourrit… ou l’exploite, l’abime, la piétine. 

Pourtant, la biosphère nous offre des cadeaux inestimables : l’oxygène des plantes, l’azote fixé par les bactéries, la beauté d’un récif corallien ou d’un vol d’oies sauvages, et même une part de sagesse… pour qui sait l’observer. Une part de sagesse car elle est aussi un miroir. 

La biosphère est un indicateur que les humains devraient prendre au sérieux. Lorsqu’elle va mal, c’est que le système vacille. Quand les espèces s’éteignent, quand les forêts s’effacent, c’est le signe que l’orchestre déraille.

Les écosystèmes et la biodiversité qu’ils accueillent sont pourtant le témoignage d’une fête géante, où tout le monde a sa place, tout le monde y est invité. Pourtant, certains (suivez mon regard) renversent les tables, les verres, souillent les sols de leur merde, crient fort et consomment sans compter.

Le lendemain, au réveil, bonjour l’ambiance ! Nous voilà avec une gueule de bois pas possible, une gueule de bois planétaire, du fait des excès des plus gros buveurs, des plus excessifs, ceux qui ne pensent pas une seule seconde à nettoyer, juste à profiter.

Il est un temps où ils vous ont bien amusés, et puis un jour, l’adolescence est terminée. Ces comportements ne vous font plus rire et ceux-là même qui vous amusaient par leurs excès ont détruit tout ceux qui les entouraient ou se sont éloignés ou séparés de leurs proches, et vous réalisez alors que les écosystèmes sont en ruines, les sols stériles, les océans asphyxiés.

La fête pourrait pourtant s’allonger si les fêtards apprenaient à ranger, à partager, à danser sans écraser les autres. La biosphère nous murmure encore parfois : « la vie est résiliente, mais elle a besoin d’un peu d’amour et d’attention pour briller. »

3. La lithosphère : la vieille tortue qui porte le monde

La lithosphère, c’est notre sol, nos montagnes, nos fonds océaniques, le squelette externe de notre planète. Solide comme un roc, jusqu’au jour où elle décide de bouger (plaques tectoniques, séismes, volcans). Dans la mythologie hindoue, elle évoque Kurma, la tortue qui porte le monde, silencieuse mais fondamentale.

Lorsque les plaques tectoniques glissent et ébranlent le plancher des vaches ou que les volcans rugissent, cette lithosphère peut nous être fatale et ensevelir la vie sous des gravats ou des cendres voire tout brûler au passage des coulées de lave. Un seul volcan, comme le Pinatubo en 1991, peut cracher assez de particules pour voiler le ciel, refroidir la planète, détruire les récoltes et affamer les populations.

La lithosphère est une mémoire qui s’efface : ses roches sont des archives qui racontent l’histoire des continents, des climats passés, des mondes disparus, et qui s’estompent avec les effets du temps.

L’eau l’érode, la glace la polit, la noosphère la perce de mines et de tunnels. Souvenons-nous cependant qu’elle nourrit également la biosphère avec ses sols fertiles, ces interfaces vivantes issues de la combinaison des conditions physico-chimiques et de l’activité du vivant. Les sols sont des carrefours : la roche s’y mêle à l’eau, à l’air, au vivant. Ils nourrissent, abritent, filtrent, et peuvent même stocker du carbone en grande quantité si on leur laisse vivre leur vie.

4. La cryosphère : le système de clim’ de la planète

La cryosphère est la partie gelée de notre monde. Glaciers, banquises, neiges éternelles, permafrost : elle scintille là où règne le froid. Dans la mythologie nordique, elle serait Ymir, le géant de glace originel, né du givre et du feu. Scientifiquement, elle joue le rôle de climatiseur planétaire, régulant la température entre l’équateur qui reçoit continuellement un maximum d’ensoleillement et des pôles frigorifiés… et frigorifiques !

La cryosphère possède quelques super-pouvoirs :

  • L’albédo : cette capacité à renvoyer la lumière du soleil, tel un miroir cosmique. Grâce à cette réflexion, les pôles peuvent maintenir un froid glacial malgré un ensoleillement important.

  • Avec la zone équatoriale jouant le rôle de point chaud les pôles permettent l’existence d’un système de climatisation naturelle : chaud au centre, froid aux extrémités, et une circulation équilibrée des fluides (air et eau).
Mais voilà, avec l’augmentation de la température de l’atmosphère terrestre ce climatiseur planétaire surchauffe. Le permafrost dégèle, les calottes glaciaires fondent, l’eau douce se déverse dans l’océan salé, le niveau des mers grimpe, les courants marins se détraquent, les saisons déraillent, et les ours polaires regrettent le bon vieux temps. La biosphère tangue, et nous nous agitons… sur Instagram ou TikTok. C’est un révélateur des penchants exhibitionnistes et voyeuristes de notre époque !


Mais la cryosphère n’est pas qu’un réfrigérant. Elle est aussi une bibliothèque du climat, une capsule temporelle géante. Les glaces du Groenland et de l’Antarctique emprisonnent des bulles d’air vieilles de plusieurs centaines de milliers d’années : de véritables archives atmosphériques.
Prélèvement d'une carotte de glace au cours d'une expédition entre Vostok et Mirny en 1985 Jean-Robert PETIT / Fonds Lorius / CNRS Photothèque
On y lit les grandes respirations de la Terre, ses périodes chaudes et glaciaires, ses secrets oubliés… et parfois, des virus en sommeil qu’on préférerait laisser gelés.

5. L’hydrosphère : l’âme liquide de la Terre

Sans eau, pas de vie. L’hydrosphère, c’est la part liquide de notre planète : les océans, les mers, les rivières, les lacs, les nappes souterraines, les glaciers fondants, les nuages dans le ciel, la pluie sur les vitres et même la vapeur s’échappant de votre tasse de thé. Elle est partout, elle circule, elle relie. Elle irrigue la vie, modèle les reliefs, alimente les climats.

Mais attention, toute cette eau n’est pas à portée de main. Moins de 3 % de l’eau sur Terre est douce, et une grande partie est piégée dans les glaces ou inaccessible sous terre. L’eau potable, celle que nous buvons, que les forêts absorbent, que les cultures réclament, est une ressource rare, bien plus précieuse qu’elle n’en a l’air.

L’hydrosphère est un maillon-clé dans le dialogue des sphères :

  • Elle érode la lithosphère, sculptant les montagnes et façonnant les vallées.
  • Elle irrigue la biosphère, transportant nutriments et graines.
  • Elle alimente l’atmosphère par évaporation, formant nuages et tempêtes.
  • Elle reçoit les pleurs de la cryosphère, les glaces fondantes qui s’écoulent vers les océans.
Elle est à la fois mémoire (transportant les pires polluants d’un continent à un autre) et avenir, car sans elle, plus de climat, plus de cycle, plus de vie.

Mais nous, humains, avons déjà modifié le grand cycle naturel de l’eau. Nous la canalisons, la bloquons, la pompons, la privatisons. Barrages, détournements de fleuves, nappes phréatiques asséchées, zones mortes, océans remplis de plastiques en tous genres… Notre gestion de l’eau ressemble plus à une fuite en avant qu’à une danse harmonieuse.

Chaque rivière modifiée change le cours d’un écosystème. Chaque goutte polluée met des dizaines de minutes, des heures, des jours, des années à redevenir pure.  À moins qu’une station d’épuration se trouve sur son passage et veuille bien accélérer le processus.

Pourtant, l’hydrosphère, la majeure partie du temps, reste patiente, fluide, résiliente. Mais il arrive qu’elle déborde : tsunamis, inondations, ouragans sont autant de rappels que cette amie de toujours a aussi son caractère. Elle donne la vie, mais peut aussi nous rappeler violemment qu’elle sait la reprendre.

Dans le monde qui vient ce sont les manques et les excès qui vont nous frapper. Des sécheresses suivies de pluies diluviennes, ou l’inverse. Il faudra de la recherche et de nouvelles solutions pour accompagner ces bouleversements.

6. La noosphère : l’esprit qui se cherche

Ah, la noosphère. Voilà plusieurs minutes que je vous bassine avec. Il s’agit d’un concept issu de Teilhard de Chardin (et de Vernadsky) désignant la sphère de la pensée humaine. C’est nous, notre culture, nos technologies, nos rêves et nos erreurs. Prométhée moderne, elle apporte le feu… et parfois l’incendie. La noosphère modifie tout : elle transforme la lithosphère en carrières, l’atmosphère en serre tropicale, l’hydrosphère en piscine privée, et la biosphère… en souvenir.

Elle fait fondre la cryosphère tout en pleurant les ours sur Instagram. Mais elle peut aussi inventer des transitions écologiques, des capteurs de CO₂, des récifs artificiels, des énergies renouvelables, de l’agriculture régénératrice. Cette sphère est ambivalente, elle possède le pouvoir de détruire comme celui de guérir. Malheureusement pour nous, cette pensée collective de l’humanité s’est mise en tête de mener une lutte au vivant pour accroitre son expansion et ses possessions et par une succession de hasards et de nécessités elle est en train de gagner cette guerre qu’elle a décidé de mener unilatéralement !

Imaginez la noosphère comme un adolescent armé d’un smartphone, un compte TikTok en surchauffe, et un accès illimité au grand bazar de l’univers. Cet ado filme tout : il zoome sur un coucher de soleil époustouflant, capture le vol gracieux d’un aigle, mais aussi – hélas – le moment où il fait exploser un nid de fourmis avec un pétard ou brûle une brindille juste pour voir "ce que ça fait". Il poste ses vidéos en ligne, et là, c’est le chaos : certains applaudissent ses éclats de génie ("Wow, ce montage sur la galaxie est incroyable !"), d’autres s’indignent devant sa cruauté ("Qui fait ça à une pauvre coccinelle ?"). Dans ses clips, on trouve tout : la barbarie d’une forêt rasée pour un centre commercial, la bêtise d’un océan rempli de plastique, mais aussi des éclairs de lucidité – une ode à la beauté d’un récif corallien, une équation qui décrypte les étoiles, une marche pour sauver les abeilles.

Comme tout ado, la noosphère est un paradoxe ambulant. Elle est capable de prouesses : inventer des panneaux solaires, écrire des poèmes qui font pleurer, ou rêver de voyages interstellaires. Mais elle trébuche souvent, trop occupée à courir après les "likes" de la croissance économique ou les frissons de la domination. Pourtant, au fond de ses stories, on sent poindre autre chose : une prise de conscience. Cet ado commence à voir la beauté fragile du monde – les murmures d’une forêt, le chant d’une baleine, la danse des aurores boréales. Il se rend compte que faire la guerre au vivant, c’est se tirer une balle dans le pied. Et s’il grandissait ? S’il troquait ses farces destructrices pour une caméra qui filme la vie pour la protéger ? La noosphère a un potentiel immense… à condition de mûrir avant que le monde ne lui claque la porte au nez.

Une planète, une partition : jouons collectif, osons l’entraide !

Ces six sphères ne sont pas des entités isolées : elles forment un tissu vivant, une architecture mouvante, une danse cosmique où chaque pas en entraîne un autre, elles s’écoutent, se répondent, se bouleversent.

Une éruption volcanique peut assombrir le ciel, teinter la couleur des nuages, refroidir la planète, bousculer les écosystèmes, en affectant la croissance des plantes et en affamant des populations, forçant alors l’humanité à repenser ses priorités.

Parfois, une simple idée, surgie dans la noosphère, peut conduire à transformer notre atmosphère et bouleverser la biosphère entière. En effet, des humains peuvent décider de brûler du charbon, du pétrole, ces réminiscences de journées ensoleillées passées, et réchauffer ainsi l’atmosphère, entraînant la fonte de la cryosphère et la libération du méthane prisonnier du permafrost, modifiant à son tour la composition de notre atmosphère. Mais ils peuvent également décider de replanter une mangrove (noosphère) qui va purifier l’eau (hydrosphère), abriter des poissons (biosphère), freiner l’érosion du trait côtier (lithosphère).

Tout est lié.

Dans ce grand théâtre d’interactions, seule la noosphère est capable de prendre conscience de l’ensemble. C’est elle qui peut protéger, ou précipiter, l’équilibre fragile de notre monde, qui peut choisir entre harmonie ou cacophonie.

Et si la clé résidait dans l’entraide ? Kropotkine nous le murmurait déjà au XIXe siècle : dans la nature, c’est la coopération — plus que la compétition — qui assure la survie. Pablo Servigne l’a rappelé à notre siècle inquiet : face aux défis immenses, nous ne nous en sortirons qu’en tissant des liens. La Terre elle-même nous montre la voie : les sphères s’épaulent, s’ajustent, se répondent.

Alors, toi, simple terrien de passage, homme ou femme, enfant curieux, lycéen rêveur, retraité apaisé, souviens-toi : la Terre n’est pas qu’un simple caillou flottant dans l’espace. C’est un organisme complexe, un réseau vibrant, un orchestre en perpétuelle métamorphose, délicat, qui alterne entre symphonie et opéras tragiques, dont nous sommes à la fois les musiciens, … et les auditeurs.
 Regarder l’horizon ! Plonger son regard vers l’inconnu. Que peut y voir cette femme ? 

Plage de Jaco, Costa-Rica 2012, ©Cyrille Moyon
Oh, toi ! Oui, c’est à toi que je m’adresse. Pourquoi ne jouerais-tu pas ta note avec soin ? Planter une graine, éteindre une lumière, ralentir, écouter un ruisseau, résister à la précipitation du monde, partager une idée.

Chaque instrumentiste compte, chaque note compte !

Et si, en s’inspirant de l’entraide qui pulse dans la nature, nous réinventions la symphonie ?

Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace

Article 2

L'histoire secrète de l'atmosphère.


Comment notre planète est devenue habitable, rôle des cyanobactéries.
Bangkok de nuit par temps orageux, vue de la Station Spatiale Internationale. On peut voir la fine couche qui entoure notre belle planète, une fine frontière nous séparant du vide spatiale. Crédit Image : NASA Photo ID ISS067-E-370728 (retouchée)

L’atmosphère terrestre : chronique d’une évolution mouvementée

Si la Terre avait eu un journal intime, ses premières pages auraient pu être écrites par un poète nordique. Imaginez un monde né du feu et de la glace, comme dans le mythe d’Ymir.

Dans les brumes originelles du Ginnungagap, le géant primordial naquit du choc brutal entre les flammes dévorantes de Muspellheim et les glaces tranchantes de Niflheim. Son corps, démembré par les dieux, devint le matériau brut de la création : sa chair façonna la terre, son sang les océans, ses os les montagnes, et son crâne la voûte céleste. Une genèse violente, où la destruction n’était pas une fin, mais l’émergence d’un nouveau monde.

Ce mythe trouve un étrange écho dans les origines de notre univers, du Big Bang au fracas initial de la nébuleuse solaire, accouchant d’un système en formation. La Terre, dans son tumulte primordial, façonnait déjà sa propre atmosphère, témoin et actrice de cette genèse brutale et incandescente.

Acte I : L’enfer primordial (il y a 4,6 milliards d’années)

L’atmosphère originelle de la Terre, née durant l’Hadéen (du nom d’Hadès, dieu des Enfers dans la mythologie grecque), n’a rien d’accueillant. Composée essentiellement d’hydrogène et d’hélium, elle ressemble à celle du Soleil. Problème : ces éléments légers ne font pas le poids face aux caprices du vent solaire et aux colères volcaniques. Résultat : cette première enveloppe gazeuse est balayée en un temps géologique record, laissant place à un environnement où le chaos règne en maître.

La Terre, qui n’a pas dit son dernier mot, en forge une deuxième, cette fois-ci à grand renfort de dégazages volcaniques. Mais au menu, pas d’oxygène respirable. Seulement une belle soupe toxique : dioxyde de carbone (CO₂), vapeur d’eau (H₂O), méthane (CH₄), ammoniac (NH₃), et une pincée d’acide sulfurique (H₂SO₄) pour corser l’ambiance. Une atmosphère irrespirable aujourd’hui, mais un formidable terreau chimique pour la suite des événements.


Acte II : L’ère des cyanobactéries et le grand suicide collectif.


Il y a environ 3,8 milliards d’années, de petites bactéries photophiles, les cyanobactéries, acquièrent une nouvelle capacité : la photosynthèse. Plutôt que de simplement absorber et user de briques élémentaires à proximité pour survivre dans la soupe chimique ambiante, elles peuvent désormais exploiter la lumière du Soleil pour transformer le CO₂ et l’eau en sucres, produisant au passage un sous-produit un peu gênant pour elles : le dioxygène (O₂).

Si aujourd’hui nous sommes redevables à ce gaz vital, à l’époque il s’agit d’un véritable poison pour la plupart des organismes anaérobies, qui n’avaient rien demandé à personne. Résultat : un carnage écologique digne d’un film catastrophe hollywoodien. Le dioxygène envahit lentement les océans puis l’atmosphère et précipite la disparition massive des organismes incapables de s’y adapter. On parle d’ailleurs de la Grande Oxydation (il y a environ 2,4 milliards d’années), un des premiers grands bouleversements biologiques de l’histoire terrestre. L’ironie du sort ? Ce sont ces mêmes cyanobactéries qui ont contribué à leur propre malheur en empoisonnant progressivement leur environnement. Elles ne le savaient pas encore mais elles venaient pour nombre d'entre elles de se petit-suicider !


Acte III : La mise en place d’une atmosphère moderne


Une fois la crise oxygénée passée, la Terre entre dans une phase de stabilisation. L’oxygène s’est tout d’abord fixé sur d’énormes quantités de fer alors présentes dans les océans, formant des dépôts, aujourd’hui gisements, de fer rubanés, ces roches riches en oxyde de fer qui témoignent encore aujourd’hui de ce cataclysme invisible. Une fois le fer saturé, l’oxygène peut dès lors s’accumuler dans l’atmosphère.
Formations de fer en bandes (BIF)
Les formations (BIF) sont des unités distinctes de roches sédimentaires composé de couches alternées de minerai riche en fer minéraux, principalement hématite et magnétite, et des minéraux riches en silice comme chert or quartz. Le nom « banded » vient de l'alternance de bandes de différentes compositions, créant une apparence superposée. Les BIF contiennent souvent également d'autres minéraux tels que des carbonates et des sulfures.
À partir de ce moment, petit bonus, l’accumulation de dioxygène dans l’atmosphère va permettre la formation de la couche d’ozone (O₃) sous l’action du rayonnement solaire. Cette fine couche va alors jouer un rôle similaire à celui d'une crème solaire planétaire, protégeant la Terre, et plus particulièrement la surface des continents, des UV mortels.
Avec ce bouclier en place, la vie peut enfin sortir la tête de l’eau et se déployer sur les continents, donnant naissance à l’explosion du Cambrien (il y a 541 millions d’années) et à la diversification des formes de vie.

« Vue nocturne de la vallée de l'Indus depuis l'ISS. Mesurez à quel point notre atmosphère n'est qu'une fine pellicule permettant la vie. " Source : NASA Earth Observatory

Épilogue : Une atmosphère façonnée par la vie et menacée par l’homme.

Aujourd’hui, l’atmosphère terrestre est un équilibre délicat entre azote (78 %), oxygène (21 %), et des traces de dioxyde de carbone et de gaz rares. Mais ce mélange, fruit d’une évolution lente et chaotique sur des milliards d’années, est désormais mis sous pression par les activités humaines.

L’augmentation rapide du CO₂ (passant de 338,9 parties par million (ppm) à plus de 420 ppm entre 1980 et 2024), les atteintes à la couche d’ozone et l’impact du réchauffement climatique rappellent à quel point notre air vital, celui que nous tenons pour acquis, est une construction instable, une alchimie fragile.

Dans la littérature scientifique on préfère d'ailleurs parler de système métastable pour un système chimique dont la vitesse de transformation est très faible, n’ayant que l'apparence de la stabilité. Une stabilité en sursis pourrions-nous dire !

Profitons-en pour nous libérer des fausses images : NON, la forêt amazonienne n’est pas le poumon de la Terre. Elle absorbe presque autant de dioxygène qu’elle n’en produit. Le vrai moteur du dioxygène atmosphérique, ce sont les océans, et plus précisément le phytoplancton, ces minuscules organismes invisibles à l’œil nu, qui assurent la majeure partie de la production. Un rappel utile pour réorienter notre attention vers l’ensemble des écosystèmes vitaux, qu’ils soient terrestres ou marins.

Il faut donc être clair. La Terre a porté à sa surface plusieurs atmosphères avant d’arriver à celle que nous connaissons aujourd’hui. Rien n’a jamais été figé et cela reste vrai pour notre futur et le futur de la planète. Si cette histoire nous enseigne quelque chose, c’est que l’atmosphère actuelle est le fruit d’interactions dynamiques, fruits du hasard et de la nécessité, des hasards et contraintes physico-chimiques, tout comme des bouleversements biologiques. Elle n'est ni un miracle, ni une garantie. C'est la vie passée qui a contribué à l'atmosphère qui nous permet aujourd'hui de nous épanouir en tant qu'espèce sur les continents, et nous, les humains, avons entre nos mains le pouvoir de la transformer et d'en faire une menace pour notre propre existence.

Si nous voulons éviter d’enclencher un nouveau chapitre où l’humain deviendrait spectateur impuissant de son propre déclin, mieux vaudrait ne pas trop jouer les petits chimistes avec la composition de notre atmosphère.

Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace

Article 1

Gaïa, la première image de la Terre et l’idée de "The Pale Blue Dot"


Notre place dans l’univers, entre émerveillement et fragilité
L’humanité, comme l’ensemble du vivant qui s’épanouit à la surface des continents, a toujours été soumise aux contraintes du ciel et du sol qu’elle arpente jour après jour. À ses débuts, elle ne conçoit pas les territoires comme nous les imaginons aujourd’hui : ses déplacements sont dictés par les ressources trouvées sur son chemin, souvent en suivant le rythme des grands troupeaux.

Il y a environ 12 000 ans, une transition majeure s’amorce. La fin du dernier âge glaciaire marque le début d’un réchauffement climatique, apportant avec lui des sols plus fertiles, des précipitations plus régulières et une plus grande stabilité saisonnière. Ces nouvelles conditions permettent à certains groupes humains de se sédentariser, d’abord temporairement, puis sur des périodes de plus en plus longues. Cette transition favorisera la domestication des céréales, des animaux et, d’une certaine manière, des humains eux-mêmes, désormais liés à un territoire. Mais cette sédentarisation impose aussi un nouveau défi : apprendre à stocker les denrées récoltées aux bonnes saisons pour survivre aux périodes de pénurie, qu’il s’agisse de l’hiver ou de la saison sèche.

En relevant les yeux vers le ciel, nous émerveillant sans doute de la voûte céleste, nous nous sommes cherchés une place dans le cosmos. Les Grecs anciens, dans leur quête d’explication du monde, ont imaginé une origine où la Terre elle-même était une divinité primordiale : Gaïa.

Dans la cosmogonie grecque, notre planète n’est pas seulement un morceau de matière flottant dans l’espace, mais une entité vivante, une déesse féconde, la matrice de toute chose. Gaïa surgit du Chaos, un vide originel indifférencié, pour donner naissance à un monde ordonné, enfantant d’elle-même (parthénogénésis, παρθένος = vierge, γενεσις = naissance, origine) Ouranos, le Ciel, qui vint la recouvrir comme une voûte céleste. De leur union naquirent les Titans, ces puissantes divinités primitives, ainsi que d’autres créatures mythiques comme les Cyclopes et les Hécatonchires (géants aux cent bras).

Ouranos, craignant la puissance de sa propre descendance, décida d’enfermer ses enfants dans les entrailles de Gaïa, les privant de lumière et d’espace. Cette souffrance fit naître en elle une révolte. Gaïa, à la fois mère et matrice du monde, ne pouvait tolérer que la vie qu’elle avait engendrée reste prisonnière. Elle conçut alors un plan et confia à son fils Chronos, le plus rusé des Titans, une faucille de pierre tranchante (pas encore de marteau pour la révolution, les esclaves n’étaient pas encore organisés en Soviets).

Lorsque Ouranos descendit une nouvelle fois sur Gaïa, tel un aigle noir, Chronos se dressa contre lui et, d’un coup net, lui coupa son phallus (À bas le patriarcat!), mettant ainsi fin à son règne. Le sang du dieu émasculé se répandit sur la Terre, donnant naissance aux Érinyes (divinités de la vengeance), aux Géants et aux Nymphes. Quant aux parties tranchées, elles tombèrent dans l’océan et, de l’écume née de cette blessure, surgit Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté (déjà une fin à l’américaine).

Vous l’aurez compris les mythes grecs ont plusieurs niveaux de lecture et ce mythe fondateur ne symbolise pas que la lutte entre le ciel et la terre, l’ordre et le chaos, mais également la nécessité de briser l’ancien pour faire émerger le nouveau, de faire disparaître l’ordre antérieur pour en faire surgir un nouveau.

Bien évidemment les mythes avaient une valeur éducative et Gaïa, bien plus qu’un simple rocher perdu dans l’espace, était ainsi perçue comme une force active, capable d’enfanter, de nourrir, mais aussi de se venger et de punir. Elle incarnait la puissance du monde naturel, mais aussi son équilibre fragile, que les hommes devaient respecter sous peine d’encourir sa colère. Dans cette vision antique, la Terre était un être vivant, un organisme en perpétuel mouvement, où chaque force, chaque divinité représentait un élément du cosmos.

Des siècles plus tard, alors que l’idée d’une Terre immobile au centre de l’univers cédait sous le poids des observations scientifiques, un autre bouleversement nous attendait : voir la Terre depuis l’espace.

Le 24 décembre 1968, alors qu’ils tournent autour de la Lune, les astronautes d’Apollo 8 prennent un cliché qui bouleversera notre perception du monde : "Earthrise". La Terre, suspendue dans l'immensité noire, minuscule, lumineuse, fragile. Quelques années plus tard, la mission Apollo 17 nous offrira la fameuse "Blue Marble", une image saisissante de notre planète entièrement illuminée par le Soleil, parfaitement ronde, d'une beauté hypnotisante.

La Bille bleue ou le Blue marble prise par la mission Apollo 17 le 7 décembre 1972. Image courtesy NASA Johnson Space Center Gateway to Astronaut Photography of Earth © NASA
Mais c’est un autre regard qui viendra parachever cette prise de conscience : en 1990, la sonde Voyager 1, s'éloignant du système solaire, capture une image de la Terre depuis 6 milliards de kilomètres. Un point bleu pâle, perdu dans l’immensité cosmique.


 Photo prise le 14 février 1990 par la sonde Voyager 1, alors qu’elle se trouvait à plus de 6 milliards de kilomètres de la Terre, au-delà de l’orbite de Neptune. 

Carl Sagan, en contemplant ce minuscule grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil, livrera ces mots devenus célèbres :

"De ce point de vue lointain, la Terre pourrait ne présenter aucun intérêt particulier. Mais pour nous, c'est différent. Repensez à ce point. C'est ici. C'est notre foyer. C'est nous. Sur ce point, tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, chaque être humain qui ait jamais vécu, y a vécu sa vie. L'ensemble de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions, d'idéologies et de doctrines économiques, chaque chasseur et cueilleur, chaque héros et chaque lâche, chaque créateur et destructeur de civilisation, chaque roi et paysan, chaque jeune couple amoureux, chaque mère et père, chaque enfant plein d'espoir, chaque inventeur et explorateur, chaque professeur de morale, chaque politicien corrompu, chaque « superstar », chaque « chef suprême », chaque saint et chaque pécheur de l'histoire de notre espèce ont vécu là – sur un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.

La Terre est une scène minuscule dans l’immense arène cosmique. Songez aux rivières de sang déversé par tous ces généraux et empereurs afin que, nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction… d’un point. Songez aux cruautés sans fin infligées par les habitants d’un recoin de ce pixel aux habitants à peine différents d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à s’entretuer, comme leurs haines sont fervetes. Nos postures, notre soi-disant importance, l’illusion que nous avons quelque position privilégiée dans l’univers, sont mises en perspective par ce point de lumière pâle.

Notre planète est une poussière isolée, enveloppée dans la grande nuit cosmique. Dans notre obscurité, dans toute cette immensité, rien ne laisse présager qu’une aide viendra d’ailleurs, pour nous sauver de nous-mêmes. La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, au moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment, c’est sur Terre que nous nous trouvons.

On dit que l’astronomie incite à l’humilité et forge le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la vanité humaine que cette lointaine image. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue."


Depuis la Station spatiale internationale, où la Terre défile sous leurs yeux à 28 000 km/h, les astronautes décrivent un même sentiment : un mélange d’émerveillement et d’humilité. La fine pellicule bleue de notre atmosphère, les tourbillons nuageux, les éclats dorés des déserts contrastant avec les verts profonds des forêts. Et pourtant, aucune frontière visible. Pas de nations, pas de guerres, juste un monde vivant, suspendu dans l'infini.

Ce que la mythologie pressentait, la science l’a confirmé : nous ne sommes qu’une infime partie d’un vaste ensemble. La Terre est une oasis pour la vie au milieu de notre système solaire, la seule. Le vivant y est interconnecté, fragile. Et si Gaïa était une déesse, elle semble aujourd’hui nous rappeler que nous sommes ses hôtes, non ses maîtres, et que c’est notre survie qui est en jeu. A cet égard nous lui devrions bien plus de respect.



Recherche