Allo, ici la terre!
➡️ Nous sommes ravis d’annoncer la collaboration de Cyrille Moyon, professeur certifié de Sciences de la Vie et de la Terre, qui animait les Rencontres Environnement à Kalasin les 17 et 18 août 2024, événement TIF ayant réuni à Kalasin une centaine d’écoliers et d’étudiants autour des enjeux écologiques.
Il prend désormais les rênes de la rubrique "Allo, ici la Terre", une série de 19 articles incisifs et captivants, répartis en 4 chapitres, pour explorer le fonctionnement de notre planète, l’équilibre des écosystèmes, l’importance de la biodiversité ainsi que l’urgence climatique.
Nous vous souhaitons bonne lecture et un grand merci à Cyrille pour son engagement dans ce projet stimulant !
Cyrille Moyon est professeur certifié de Sciences de la Vie et de la Terre, passionné par la transmission des savoirs et les enjeux environnementaux. Après plus de quinze ans d’enseignement en France, il s’est installé en Thaïlande où il poursuit son engagement pour l’éducation aux sciences de l’environnement. Son approche mêle rigueur scientifique et sensibilité pédagogique, avec une attention particulière portée à l’enseignement du réchauffement climatique et à la protection de la biodiversité.
Conférencier et auteur d’articles spécialisés occasionnel, Cyrille s’intéresse aux moyens de rendre la science accessible à tous, notamment à travers des actions d’éducation populaire en partenariat avec des associations franco-thaïes. Ses écrits, documentés et accessibles, explorent les grands défis écologiques de notre temps, des initiatives durables aux enjeux de conservation. Son objectif ? Inspirer une réflexion éclairée et encourager des actions concrètes en faveur d’un avenir plus soutenable.

Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace
Article 2
L'histoire secrète de l'atmosphère.

Bangkok de nuit par temps orageux, vue de la Station Spatiale Internationale. On peut voir la fine couche qui entoure notre belle planète, une fine frontière nous séparant du vide spatiale. Crédit Image : NASA Photo ID ISS067-E-370728 (retouchée)
L’atmosphère terrestre : chronique d’une évolution mouvementée
Si la Terre avait eu un journal intime, ses premières pages auraient pu être écrites par un poète nordique. Imaginez un monde né du feu et de la glace, comme dans le mythe d’Ymir.
Dans les brumes originelles du Ginnungagap, le géant primordial naquit du choc brutal entre les flammes dévorantes de Muspellheim et les glaces tranchantes de Niflheim. Son corps, démembré par les dieux, devint le matériau brut de la création : sa chair façonna la terre, son sang les océans, ses os les montagnes, et son crâne la voûte céleste. Une genèse violente, où la destruction n’était pas une fin, mais l’émergence d’un nouveau monde.
Ce mythe trouve un étrange écho dans les origines de notre univers, du Big Bang au fracas initial de la nébuleuse solaire, accouchant d’un système en formation. La Terre, dans son tumulte primordial, façonnait déjà sa propre atmosphère, témoin et actrice de cette genèse brutale et incandescente.
Acte I : L’enfer primordial (il y a 4,6 milliards d’années)
L’atmosphère originelle de la Terre, née durant l’Hadéen (du nom d’Hadès, dieu des Enfers dans la mythologie grecque), n’a rien d’accueillant. Composée essentiellement d’hydrogène et d’hélium, elle ressemble à celle du Soleil. Problème : ces éléments légers ne font pas le poids face aux caprices du vent solaire et aux colères volcaniques. Résultat : cette première enveloppe gazeuse est balayée en un temps géologique record, laissant place à un environnement où le chaos règne en maître.
La Terre, qui n’a pas dit son dernier mot, en forge une deuxième, cette fois-ci à grand renfort de dégazages volcaniques. Mais au menu, pas d’oxygène respirable. Seulement une belle soupe toxique : dioxyde de carbone (CO₂), vapeur d’eau (H₂O), méthane (CH₄), ammoniac (NH₃), et une pincée d’acide sulfurique (H₂SO₄) pour corser l’ambiance. Une atmosphère irrespirable aujourd’hui, mais un formidable terreau chimique pour la suite des événements.
Acte II : L’ère des cyanobactéries et le grand suicide collectif.
Il y a environ 3,8 milliards d’années, de petites bactéries photophiles, les cyanobactéries, acquièrent une nouvelle capacité : la photosynthèse. Plutôt que de simplement absorber et user de briques élémentaires à proximité pour survivre dans la soupe chimique ambiante, elles peuvent désormais exploiter la lumière du Soleil pour transformer le CO₂ et l’eau en sucres, produisant au passage un sous-produit un peu gênant pour elles : le dioxygène (O₂).
Si aujourd’hui nous sommes redevables à ce gaz vital, à l’époque il s’agit d’un véritable poison pour la plupart des organismes anaérobies, qui n’avaient rien demandé à personne. Résultat : un carnage écologique digne d’un film catastrophe hollywoodien. Le dioxygène envahit lentement les océans puis l’atmosphère et précipite la disparition massive des organismes incapables de s’y adapter. On parle d’ailleurs de la Grande Oxydation (il y a environ 2,4 milliards d’années), un des premiers grands bouleversements biologiques de l’histoire terrestre. L’ironie du sort ? Ce sont ces mêmes cyanobactéries qui ont contribué à leur propre malheur en empoisonnant progressivement leur environnement. Elles ne le savaient pas encore mais elles venaient pour nombre d'entre elles de se petit-suicider !
Acte III : La mise en place d’une atmosphère moderne
Une fois la crise oxygénée passée, la Terre entre dans une phase de stabilisation. L’oxygène s’est tout d’abord fixé sur d’énormes quantités de fer alors présentes dans les océans, formant des dépôts, aujourd’hui gisements, de fer rubanés, ces roches riches en oxyde de fer qui témoignent encore aujourd’hui de ce cataclysme invisible. Une fois le fer saturé, l’oxygène peut dès lors s’accumuler dans l’atmosphère.

Formations de fer en bandes (BIF)
Les formations (BIF) sont des unités distinctes de roches sédimentaires composé de couches alternées de minerai riche en fer minéraux, principalement hématite et magnétite, et des minéraux riches en silice comme chert or quartz. Le nom « banded » vient de l'alternance de bandes de différentes compositions, créant une apparence superposée. Les BIF contiennent souvent également d'autres minéraux tels que des carbonates et des sulfures.
À partir de ce moment, petit bonus, l’accumulation de dioxygène dans l’atmosphère va permettre la formation de la couche d’ozone (O₃) sous l’action du rayonnement solaire. Cette fine couche va alors jouer un rôle similaire à celui d'une crème solaire planétaire, protégeant la Terre, et plus particulièrement la surface des continents, des UV mortels.

Avec ce bouclier en place, la vie peut enfin sortir la tête de l’eau et se déployer sur les continents, donnant naissance à l’explosion du Cambrien (il y a 541 millions d’années) et à la diversification des formes de vie.


« Vue nocturne de la vallée de l'Indus depuis l'ISS. Mesurez à quel point notre atmosphère n'est qu'une fine pellicule permettant la vie. " Source : NASA Earth Observatory
Épilogue : Une atmosphère façonnée par la vie et menacée par l’homme.
Aujourd’hui, l’atmosphère terrestre est un équilibre délicat entre azote (78 %), oxygène (21 %), et des traces de dioxyde de carbone et de gaz rares. Mais ce mélange, fruit d’une évolution lente et chaotique sur des milliards d’années, est désormais mis sous pression par les activités humaines.
L’augmentation rapide du CO₂ (passant de 338,9 parties par million (ppm) à plus de 420 ppm entre 1980 et 2024), les atteintes à la couche d’ozone et l’impact du réchauffement climatique rappellent à quel point notre air vital, celui que nous tenons pour acquis, est une construction instable, une alchimie fragile.
Dans la littérature scientifique on préfère d'ailleurs parler de système métastable pour un système chimique dont la vitesse de transformation est très faible, n’ayant que l'apparence de la stabilité. Une stabilité en sursis pourrions-nous dire !
Profitons-en pour nous libérer des fausses images : NON, la forêt amazonienne n’est pas le poumon de la Terre. Elle absorbe presque autant de dioxygène qu’elle n’en produit. Le vrai moteur du dioxygène atmosphérique, ce sont les océans, et plus précisément le phytoplancton, ces minuscules organismes invisibles à l’œil nu, qui assurent la majeure partie de la production. Un rappel utile pour réorienter notre attention vers l’ensemble des écosystèmes vitaux, qu’ils soient terrestres ou marins.
Il faut donc être clair. La Terre a porté à sa surface plusieurs atmosphères avant d’arriver à celle que nous connaissons aujourd’hui. Rien n’a jamais été figé et cela reste vrai pour notre futur et le futur de la planète. Si cette histoire nous enseigne quelque chose, c’est que l’atmosphère actuelle est le fruit d’interactions dynamiques, fruits du hasard et de la nécessité, des hasards et contraintes physico-chimiques, tout comme des bouleversements biologiques. Elle n'est ni un miracle, ni une garantie. C'est la vie passée qui a contribué à l'atmosphère qui nous permet aujourd'hui de nous épanouir en tant qu'espèce sur les continents, et nous, les humains, avons entre nos mains le pouvoir de la transformer et d'en faire une menace pour notre propre existence.
Si nous voulons éviter d’enclencher un nouveau chapitre où l’humain deviendrait spectateur impuissant de son propre déclin, mieux vaudrait ne pas trop jouer les petits chimistes avec la composition de notre atmosphère.
Cycle 1 : La Terre, une oasis dans l’espace
Article 1
Gaïa, la première image de la Terre et l’idée de "The Pale Blue Dot"
L’humanité, comme l’ensemble du vivant qui s’épanouit à la surface des continents, a toujours été soumise aux contraintes du ciel et du sol qu’elle arpente jour après jour. À ses débuts, elle ne conçoit pas les territoires comme nous les imaginons aujourd’hui : ses déplacements sont dictés par les ressources trouvées sur son chemin, souvent en suivant le rythme des grands troupeaux.
Il y a environ 12 000 ans, une transition majeure s’amorce. La fin du dernier âge glaciaire marque le début d’un réchauffement climatique, apportant avec lui des sols plus fertiles, des précipitations plus régulières et une plus grande stabilité saisonnière. Ces nouvelles conditions permettent à certains groupes humains de se sédentariser, d’abord temporairement, puis sur des périodes de plus en plus longues. Cette transition favorisera la domestication des céréales, des animaux et, d’une certaine manière, des humains eux-mêmes, désormais liés à un territoire. Mais cette sédentarisation impose aussi un nouveau défi : apprendre à stocker les denrées récoltées aux bonnes saisons pour survivre aux périodes de pénurie, qu’il s’agisse de l’hiver ou de la saison sèche.
En relevant les yeux vers le ciel, nous émerveillant sans doute de la voûte céleste, nous nous sommes cherchés une place dans le cosmos. Les Grecs anciens, dans leur quête d’explication du monde, ont imaginé une origine où la Terre elle-même était une divinité primordiale : Gaïa.
Dans la cosmogonie grecque, notre planète n’est pas seulement un morceau de matière flottant dans l’espace, mais une entité vivante, une déesse féconde, la matrice de toute chose. Gaïa surgit du Chaos, un vide originel indifférencié, pour donner naissance à un monde ordonné, enfantant d’elle-même (parthénogénésis, παρθένος = vierge, γενεσις = naissance, origine) Ouranos, le Ciel, qui vint la recouvrir comme une voûte céleste. De leur union naquirent les Titans, ces puissantes divinités primitives, ainsi que d’autres créatures mythiques comme les Cyclopes et les Hécatonchires (géants aux cent bras).
Ouranos, craignant la puissance de sa propre descendance, décida d’enfermer ses enfants dans les entrailles de Gaïa, les privant de lumière et d’espace. Cette souffrance fit naître en elle une révolte. Gaïa, à la fois mère et matrice du monde, ne pouvait tolérer que la vie qu’elle avait engendrée reste prisonnière. Elle conçut alors un plan et confia à son fils Chronos, le plus rusé des Titans, une faucille de pierre tranchante (pas encore de marteau pour la révolution, les esclaves n’étaient pas encore organisés en Soviets).
Lorsque Ouranos descendit une nouvelle fois sur Gaïa, tel un aigle noir, Chronos se dressa contre lui et, d’un coup net, lui coupa son phallus (À bas le patriarcat!), mettant ainsi fin à son règne. Le sang du dieu émasculé se répandit sur la Terre, donnant naissance aux Érinyes (divinités de la vengeance), aux Géants et aux Nymphes. Quant aux parties tranchées, elles tombèrent dans l’océan et, de l’écume née de cette blessure, surgit Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté (déjà une fin à l’américaine).
Vous l’aurez compris les mythes grecs ont plusieurs niveaux de lecture et ce mythe fondateur ne symbolise pas que la lutte entre le ciel et la terre, l’ordre et le chaos, mais également la nécessité de briser l’ancien pour faire émerger le nouveau, de faire disparaître l’ordre antérieur pour en faire surgir un nouveau.
Bien évidemment les mythes avaient une valeur éducative et Gaïa, bien plus qu’un simple rocher perdu dans l’espace, était ainsi perçue comme une force active, capable d’enfanter, de nourrir, mais aussi de se venger et de punir. Elle incarnait la puissance du monde naturel, mais aussi son équilibre fragile, que les hommes devaient respecter sous peine d’encourir sa colère. Dans cette vision antique, la Terre était un être vivant, un organisme en perpétuel mouvement, où chaque force, chaque divinité représentait un élément du cosmos.
Des siècles plus tard, alors que l’idée d’une Terre immobile au centre de l’univers cédait sous le poids des observations scientifiques, un autre bouleversement nous attendait : voir la Terre depuis l’espace.
Le 24 décembre 1968, alors qu’ils tournent autour de la Lune, les astronautes d’Apollo 8 prennent un cliché qui bouleversera notre perception du monde : "Earthrise". La Terre, suspendue dans l'immensité noire, minuscule, lumineuse, fragile. Quelques années plus tard, la mission Apollo 17 nous offrira la fameuse "Blue Marble", une image saisissante de notre planète entièrement illuminée par le Soleil, parfaitement ronde, d'une beauté hypnotisante.

Mais c’est un autre regard qui viendra parachever cette prise de conscience : en 1990, la sonde Voyager 1, s'éloignant du système solaire, capture une image de la Terre depuis 6 milliards de kilomètres. Un point bleu pâle, perdu dans l’immensité cosmique.

Photo prise le 14 février 1990 par la sonde Voyager 1, alors qu’elle se trouvait à plus de 6 milliards de kilomètres de la Terre, au-delà de l’orbite de Neptune.
Carl Sagan, en contemplant ce minuscule grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil, livrera ces mots devenus célèbres :
"De ce point de vue lointain, la Terre pourrait ne présenter aucun intérêt particulier. Mais pour nous, c'est différent. Repensez à ce point. C'est ici. C'est notre foyer. C'est nous. Sur ce point, tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, chaque être humain qui ait jamais vécu, y a vécu sa vie. L'ensemble de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions, d'idéologies et de doctrines économiques, chaque chasseur et cueilleur, chaque héros et chaque lâche, chaque créateur et destructeur de civilisation, chaque roi et paysan, chaque jeune couple amoureux, chaque mère et père, chaque enfant plein d'espoir, chaque inventeur et explorateur, chaque professeur de morale, chaque politicien corrompu, chaque « superstar », chaque « chef suprême », chaque saint et chaque pécheur de l'histoire de notre espèce ont vécu là – sur un grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.
La Terre est une scène minuscule dans l’immense arène cosmique. Songez aux rivières de sang déversé par tous ces généraux et empereurs afin que, nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction… d’un point. Songez aux cruautés sans fin infligées par les habitants d’un recoin de ce pixel aux habitants à peine différents d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à s’entretuer, comme leurs haines sont fervetes. Nos postures, notre soi-disant importance, l’illusion que nous avons quelque position privilégiée dans l’univers, sont mises en perspective par ce point de lumière pâle.
Notre planète est une poussière isolée, enveloppée dans la grande nuit cosmique. Dans notre obscurité, dans toute cette immensité, rien ne laisse présager qu’une aide viendra d’ailleurs, pour nous sauver de nous-mêmes. La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, au moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment, c’est sur Terre que nous nous trouvons.
On dit que l’astronomie incite à l’humilité et forge le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la vanité humaine que cette lointaine image. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue."
Depuis la Station spatiale internationale, où la Terre défile sous leurs yeux à 28 000 km/h, les astronautes décrivent un même sentiment : un mélange d’émerveillement et d’humilité. La fine pellicule bleue de notre atmosphère, les tourbillons nuageux, les éclats dorés des déserts contrastant avec les verts profonds des forêts. Et pourtant, aucune frontière visible. Pas de nations, pas de guerres, juste un monde vivant, suspendu dans l'infini.
Ce que la mythologie pressentait, la science l’a confirmé : nous ne sommes qu’une infime partie d’un vaste ensemble. La Terre est une oasis pour la vie au milieu de notre système solaire, la seule. Le vivant y est interconnecté, fragile. Et si Gaïa était une déesse, elle semble aujourd’hui nous rappeler que nous sommes ses hôtes, non ses maîtres, et que c’est notre survie qui est en jeu. A cet égard nous lui devrions bien plus de respect.